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  • Photo du rédacteurMichel-Henry Namy

Le reporting RSE un outil d'écoblanchiment?

Actuellement pour diffuser les données les plus pertinentes sur leurs activités et répondre aux attentes de leurs parties prenantes, en matière de RSE, les entreprises utilisent des référentiels internationaux qui permettent d’assurer une certaine standardisation, mais ce reporting RSE reste insuffisant à ce jour, et présente de nombreux inconvénients. Quels sont-ils … ?


« La RSE ? »


La RSE est la Responsabilité Sociétale (ou sociale) des Entreprises.

D'ailleurs constatons à ce propos le foisonnement de termes, labels ou d'acronymes sur ce sujet : ESG (Critères Environnementaux, Sociaux, et de Gouvernance), ISR (Label Investissement Socialement Responsable), BCorp (Benefit Corporation), etc...

Il s'agit pour les entreprises de prendre en compte les enjeux sociaux (ou sociétaux) et environnementaux de leurs activités de toutes natures qu'elles soient industrielles, entrepreneuriales, ou commerciales ainsi que leurs relations avec les parties prenantes ou communautés.

C’est l'ensemble des domaines dans lesquels les entreprises peuvent réduire leur impact sur la planète et contribuer ainsi aux enjeux du développement durable.

D'une façon plus précise le périmètre de la RSE est défini autour de sept questions centrales : la gouvernance de l’organisation, les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, et les communautés et le développement local.

Actuellement, et pour ne prendre que le volet portant sur l’environnement et le réchauffement climatique, les émissions de CO2 comme gaz à effet de serre, au niveau mondial, représentent le montant hallucinant de 40 Milliards de Tonnes par an.

Ainsi la RSE est devenu un enjeu incontournable de la gestion des entreprises en ayant un impact sur plusieurs aspects de leurs activités : communication, recrutement, marchés publics, financements, en contribuant aussi de manière significative à leur Raison d'Être.

Par exemple une étude montre que 90% des sociétés cotées aux USA au S&P500, se sont engagées à améliorer leurs performances environnementales, et leur impact climatique, et réalisent également un reporting RSE.


« Trop de normes, tuent la norme »


Ces dernières décennies ont vu l'émergence et le foisonnement d'un nombre considérables de normes, de règlementations, de lois, ou d'organismes en matière de RSE, tant au plan national qu'international. Citons parmi celles-ci : Norme ISO 26 000, Taxonomie (Taxonomie Européenne sur les activités vertes), SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), NFRD (Non Financial Reporting Directive), loi NRE (Loi Nouvelle Régulations Economiques, DPEF (Déclaration de performance extra-financière), GRI (Global Reporting Initiative), ODD (Objectifs de Développement Durable), TCFD (Task force on Climate Financial Disclosure), SASB (Sustainability Accounting Standards Board), CDSB (Climate Disclosure Standards Board), Normes de reporting GHG Protocol (GreenHouse Gas Protocol), etc...

Parmi cet ensemble règlementaire ou normatif, observons que la norme ISO 26 000 présente les lignes directrices internationales de la RSE. Elle a vocation à aider les entreprises à contribuer au développement durable. Cette norme a été publiée en novembre 2010. Elle est l’aboutissement de cinq années de négociations entre de nombreuses parties prenantes d’une centaine de pays.

Par ailleurs en matière de reporting sur les émissions de gaz à effet de serre, soulignons que la plupart des entreprises, en particulier au plan international, adoptent les normes de reporting GHG Protocol.

On doit reconnaitre que cette profusion réglementaire, ne favorise pas l'adoption par les entreprises d'un référentiel standard en matière de reporting en raison d’un manque de stabilité inhérent à ce foisonnement. Soulignons cependant que depuis 2021, on est passé dans une phase d'intégration du reporting RSE au monde de la finance. C’est le cas en Europe, mais également aux USA avec notamment les récentes communications de la SEC (Securities and Exchange Commission) qui, pour la première fois, émet des recommandations en indiquant que les informations matérielles relatives au climat en particulier, ont toute leur place dans les états financiers.


« Enjeux du Reporting »


Le reporting RSE n'échappe pas aux difficultés classiques du reporting en général et qui sont notamment :

· Abondance de chiffres ou de données non homogènes, non cohérentes, non ciblées.

· Données correspondant à des définitions différentes, ou des méthodologies de calcul divergentes.

· Données qui proviennent de multiples systèmes ou applicatifs dont les paramètres ne sont pas nécessairement homogènes (ex. certaines données sont journalières d'autres trimestrielles).

· Données qui ne correspondent pas aux mêmes objectifs de reporting (ex. données comptables, données extra comptables), d'où un manque de cohérence.

· Données qui sont de natures différentes (ex. qualitative, quantitatives), et elles ne sont pas structurées suivant un modèle qui prenne en compte les interactions entres elles (ex. des données sur le carnet de commande, ou la gestion du personnel, avec des données financières sur le compte de résultat).

· Données qui induisent des comportements contradictoires (ex. relevés sur les défauts produits et la productivité des équipes de maintenance).

· Données trop techniques qui ne facilitent pas la compréhension et la communication des chiffres.

· La plupart d’entre nous connaissent les réunions entre différents services ou chacun vient avec ses propres chiffres.

Or un système de reporting performant se doit de répondre aux attentes suivantes :

· Données modélisées répondant à des objectifs définis, uniques et alignés.

· Arborescence des données prenant en compte les écarts, et permettant leurs analyses.

· Modèle de données cohérent construit autour du business modèle de l’entreprise.


Dans le cadre d’outils de gestion modernes et performants (Tableau de bord), de nombreuses entreprises utilisent le concept du BsC (Balanced score Card) dont les principes d'une manière résumée et synthétique, sont de fournir aux managers des indicateurs financiers et non financiers, qui sont cohérents, fiables, et sont focalisés sur des objectifs clairs.

La spécificité du BsC est de rendre cohérent les informations provenant des multiples dimensions de l'entreprise : Les différents niveaux de décisions, les décisions stratégiques ou opérationnelles à court ou à long terme, les différents secteurs d'activité, les différentes natures de décisions (organisation, personnel, production, finance, etc.), mais aussi les différents types indicateurs qualitatifs, quantitatifs, ou financiers. Le point clé du BsC est d'assurer dès sa conception, la prise en compte des interactions entre ces différentes dimensions, ce que l'on pourrait qualifier de modèle décisionnel de l'entreprise.

On conçoit bien que dans le cadre d’un tel système de reporting, la RSE puisse y trouver parfaitement sa place.


« Spécificités du reporting RSE »


Sans entrer à ce stade dans le détail du reporting RSE actuel, observons le type de reporting RSE effectué en général par les entreprises :

· Il s'agit principalement d'une liste plus ou moins complète d'indicateurs, groupés par grands thèmes tels que ceux définis autour des sept questions centrales de la RSE évoquées précédemment.

· Ces indicateurs sont souvent purement qualitatifs, parfois quantitatifs (ex. quantité de GES émis), et fournissent aussi parfois des informations non structurées, ou des informations réduites à leur plus simple expression (réponses par oui, ou non).

· Ce type de reporting RSE nous renseigne sur l'existence ou non d'indicateurs, le nombre de mesures effectuées, le nombre de réunions tenues sur un sujet, le nombre de dossiers gérés, ou encore le nombre d'audits réalisés, etc…

· Quand ils sont plus détaillés nous obtenons une avalanche de données portant par exemple sur les effectifs par catégories de personnel, le turnover du personnel, le nombre d'accidents du travail, ou des données quantitatives estimatives sur les rejets de gaz à effet de serre (GES scope1, scope 2, ou scope 3, cf. GHG Protocol), ou encore les émissions de gaz tels que le SO2, etc…


« Reporting RSE à repenser »


Peut-on imaginer un instant que ce type de reporting, que l’on pourrait qualifier de contemplatif, puisse constituer un outil de management et inciter à l'action ?

Il est en effet fondamentalement entaché de failles conceptuelles, chaque entreprise utilisant sa propre méthodologie, la plupart des données sont souvent des données inexactes, invérifiables, redondantes, ou récurrentes.

Peut-on concevoir qu’une entreprise effectue son reporting financier et publie les résultats de ses différentes divisions basés sur une Comptabilité Analytique dont les règles seraient différentes par division, car s'agissant de différents produits ?

Non bien entendu ! car en additionnant les résultats de chaque division on aurait aucune chance de retomber sur le résultat de la Comptabilité Générale, ce qui serait un gage de mauvaise performance et ne manquerait pas de conduire à la prise de décisions erronées.

Eh bien aujourd’hui le reporting RSE est dans une situation analogue ! Et par conséquent le reporting RSE apparait plus comme un outil d'écoblanchiment que comme un outil de gestion de la performance RSE !


« Reporting RSE performant »


La question majeure du reporting d'une façon générale est celle de la crédibilité des chiffres. Si les chiffres ou les données présentées sont erronées alors la crédibilité du reporting est remise en cause, et le système ne possède plus la légitimité nécessaire pour argumenter des points de vue, échanger des informations et surtout prendre des décisions.

Ceci est vrai autant pour le reporting classique que pour le reporting RSE. Toute la question est donc de fiabiliser le reporting RSE pour lui donner la crédibilité nécessaire à l'action. Comme nous l’avons vu précédemment le reporting RSE doit être intégré au reporting habituel de l’entreprise (cf. BsC). En possédant la même architecture que le reporting classique, le reporting RSE prendra en compte l’ensemble de la chaine de valeur de l’entreprise, de l’amont à l’aval des activités.

De quoi est constituée pour une entreprise la dimension RSE de sa chaine de valeur ? Elle consiste en trois parties :

La partie amont, que nous désignerons par Partie A, elle porte en ce qui concerne les composantes RSE sur tous les produits, services ou fournitures que l’entreprise va acquérir auprès de ses fournisseurs.

Ensuite pour la Partie B, concernant ses activées propres, liées à ses propres processus de production, ou à ses activités, il s’agit des composantes RSE qui sont générées directement par l’entreprise.

Et finalement dans la Partie C, on mesure à travers les sorties de stock, livraisons ou prestations relatives aux produits ou services fournis aux entreprises clientes ou clients finaux, les composantes RSE qui s’y rattachent, et qui ont un impact direct sur l’environnement (au sens de la collectivité).

Prenons le cas à titre d’exemple des émissions de gaz à effet de serre (GES) et plus particulièrement du CO2 :

En Partie A ? Supposons que l'entreprise achète 2 produits à des fournisseurs (matière première, ou produit fini ou semi fini). Le fournisseur indique comme il le fait déjà pour tous ses produits sur leurs fiches techniques, la composition et notamment la composition en CO2. Cette information est prise en compte par l'entreprise.

En Partie B ? Dans son processus de production, l'entreprise convertit des unités de production de la Partie A, et génère ses propres unités de production. Pour ce faire elle va ajouter aux éléments de CO2 de la Partie A, les émissions de CO2 liées à ses propres consommations directes ou indirectes (électricité, charges d'exploitation, etc..) correspondant à ces unités de production. Il s’agit d’un travail technique que les ingénieurs ont l’habitude de réaliser par exemple lorsqu’ils établissent des fiches techniques ou des nomenclatures de production.

En Partie C ? Les produits ainsi fabriqués seront pour partie ou en totalité livrés aux clients. Ainsi ces produits finis prendront en compte dans leur composition, la part de CO2 relative au transport jusqu'à l'entreprise cliente. Ce sont ces produits ou services qui rentreront dans un nouveau cycle de production ou de commercialisation de la même façon que dans la Partie A décrite précédemment, pour une nouvelle entreprise.

Le reporting RSE de l’entreprise portera ainsi uniquement sur la partie incrémentale de ses propres émissions nettes en GES CO2.


« Comment progresser : la CARSE »


Voilà expliqué ci-dessus en quelques mots le schéma de constitution de l'émission de GES CO2 à travers la chaine de valeur tel qu’il entrerait dans le reporting RSE de l'entreprise.

Ce schéma donne un aperçu de ce que l'on pourrait qualifier de Comptabilité Analytique RSE (CARSE) d'une façon similaire à la CAE (Comptabilité Analytique d'Exploitation) des entreprises qui sert de base au reporting (Management & Financial Information Reporting System).

Néanmoins, autant un tel système s'applique parfaitement aux données quantitatives, autant il est inapplicable tel quel aux données de nature qualitative, ou non structurées, or de nombreuses données RSE sont de nature qualitative (par ex. Nombre d'audits, nombre de rapports, etc..).

Dans ce cas il est possible d'appliquer des règles de reporting complémentaires à fixer et standardiser (cf. par exemple le reporting type SOXA Sarbanes-Oxley), ou de transformer ces éléments qualitatifs en données quantitatives sur la base de règles et de standards adoptés par la communauté (un système de notation homogène, ou proche par exemple du nutriscore pour les produits alimentaires).



« Conclusions »


On peut admettre que la prise de conscience de l’impact de nos activités humaines sur l’environnement est maintenant un sujet de préoccupation majeure, et qu’il est grand temps d’agir. Or pour agir efficacement nous avons besoin d’indicateurs pertinents permettant de guider nos actions. Dans ce but il est nécessaire de construire un système de reporting RSE cohérent, efficace et fiable.

Ainsi les entreprises pour ne parler que d’elles, devraient se doter d’un système de Comptabilité Analytique RSE (CARSE), et faire en sorte que le reporting RSE actuel qui n’est qu’un système d’écoblanchiment disparaisse, pour devenir un véritable système de gestion performant, qui comme dans tout système de reporting fiable sera soumis à des règles d'audit similaires au reporting financiers (audit comptable), un audit de contrôle des Risques, ou encore de notation financière (notation ISG).



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